samedi 24 décembre 2011

Le Verbe s'est fait chère.

Vu les horaires de Noël (messe à minuit, a-t-on idée ?), la petite fête familiale intergénérationnelle du 24 décembre au soir ne peut avoir lieu qu'au presbytère, si on veut que le curé y participe. A cette nouvelle, j'ai senti chez mes neveux et leurs parents comme une ombre d'inquiétude : qu'allait-on donc pouvoir manger chez quelqu'un qui n'a personne pour faire la cuisine ? C'est qu'à Noël, le Verbe se fait chère, et cette vérité passe évidemment par des agapes - du grec Agapê, don de soi dans l'amour, et par extension repas préparé et vécu avec amour.

Ce n'est pas faux, après tout : le Verbe se donne en nourriture, chaque jour, chaque dimanche, mais plus spécialement en ces temps de Noël où s'agrandit notablement le cercle des paroissiens. A Noël, on communie beaucoup. Nos gens ne savent d'ailleurs plus trop comment faire : tendre la main ? Oui, mais comment ? On regarde la dame qui est devant, on fait comme elle, et, comme on l'a vue remuer les lèvres, on dit "merci", c'est plus poli à défaut d'être joli. Ouvrir la bouche ? Tirer la langue ? Se signer, avant, pendant ou après ? Emporter ce joli rond blanc pour profiter un moment de sa chaleur au creux de la main ? Des consignes oubliées reviennent à la mémoire : ne pas mordre dans l'hostie de peur de blesser Jésus. Attention, ça peut coller au fond du palais. Ne fallait-il pas se confesser avant ? Venir à jeun ? Zut, c'est trop tard, j'ai communié.

Le Verbe se fait chère. Oui, mais ce n'est pas comme ça que Jean nous dit les choses : le VERBE se fait CHAIR. Qu'est-ce à dire ? Et qu'est-ce que le Verbe ?

Ce Verbe, c'est la Parole. Parole de Dieu. Cette Parole ne fait pas partie de celles qui s'envolent : elle a trop de poids pour cela. Elle prend chair, c'est-à-dire qu'elle s'incarne dans une vie humaine. La Parole divine n'est pas une parole en l'air, elle tombe sur la terre en un homme, Jésus, pour nous dire qu'elle est faite pour prendre chair de notre chair.

Car ce n'est pas seulement de la chair du Christ qu'il s'agit, mais de toute chair. Ce n'est pas de la peau et des os qu'on parle là, mais de toute vie humaine, de la Création qui attend cette venue du Verbe. La première à avoir compris cela, c'est Marie : en disant "Oui", elle accueille le Verbe et lui donne sa vie, avec une telle vérité qu'il prend, littéralement, chair de sa chair. Et les premiers mots qu'elle prononce alors, depuis cette chair transformée par la présence du Verbe, sont ceux du Magnificat, des mots à ce point incarnés qu'ils n'ont pas fini de nous surprendre, sinon de nous scandaliser : Dieu comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides, renverse les puissants de leur trône... Dans la bouche de Marie la discrète, la parole de Dieu se fait sociale.

Le Verbe se fait chair, pour mieux se faire chair. Si nous pouvions avoir cela à l'esprit la nuit de Noël, lorsque nous accueillons le Christ en nourriture.

samedi 17 décembre 2011

"J'ai rendu mon baptême"


A nouveau, un commentaire sur un commentaire, à la suite du dernier billet consacré au péché originel : "J'ai rendu mon baptême, prétextant que j'étais athée".

Encouragés par des officines aussi douteuse que la secte rahélienne, désirant manifester leur hostilité au catholicisme, ou simplement mus par un souci d'honnêteté intellectuelle (puisque je ne suis pas croyant, je ne peux pas figurer sur les registres de l’Église catholique), de plus en plus de Français demandent à être radiés des registres de baptême. La justice a récemment fait droit à cette demande, en première instance du moins. J'y ai été confronté au moins une fois.

On voit bien l'argument : les registres de baptême sont la liste des membres de l’Église catholique, accessibles à tous (ce qui est d'ailleurs faux, puisque ces registres ne sont pas en libre accès). Nul ne peut y figurer sans son consentement. Cet argument ne correspond pas toujours aux intentions réelles (désir de nuire à l’Église, ou, ce qui est plus complexe, souhait de "repartir à zéro" en effaçant les traces d'une existence antérieure, nous y reviendrons), mais la justice ne s'intéresse pas à cette dimension-là de la vérité.

Le problème est que cette manière de voir ne correspond pas à ce qu'est le baptême. Être baptisé, ce n'est pas faire partie d'une association qui s'appellerait l’Église catholique. C'est rencontrer quelqu'un (Dieu). C'est faire l'expérience de la mort et de la résurrection de Jésus. En ce sens, demander à être radié des registres de baptême, c'est comme dire à quelqu'un "je ne t'ai jamais rencontré". C'est renier un pan de son histoire, peut-être insignifiant, mais sans doute plus important qu'on ne veut bien l'admettre puisqu'on agit ainsi (si le baptême était vraiment insignifiant, on n'y prêterait pas attention). Il serait intéressant de savoir ce qui se cache derrière ce reniement : pourquoi ne pas reconnaître ce qui est de l'ordre du fait ? J'ai été baptisé, cela ne signifie rien pour moi, certes, mais je l'ai été et cela fait partie de moi, autant que ma famille, mes origines sociales, bref tout ce qui fait mon histoire et qui m'a construit. En ce sens, la campagne de débaptisation n'aide personne à assumer sa propre histoire, en laissant croire qu'on peut délibérément tourner le dos à soi-même. Elle participe de cette curieuse idée, qui consiste à penser que nous serions libres de construire à notre guise notre propre existence, et que rien de cette existence ne nous serait donné en dehors de notre propre volonté.

Question subsidiaire : la justice peut-elle régler ce malentendu ? C'est ce qu'elle a fait dans sa dernière décision, en assimilant l'inscription dans les registres de baptême aux listes des membres d'une association. Elle interprète donc le baptême d'une autre manière que l’Église elle-même. Cela pose un problème : l'Etat français, qui est séparé de l’Église, peut-il interpréter ainsi le dogme catholique ? Jusqu'à présent, la réponse était négative (ainsi, la République reconnaît la hiérarchie catholique, pour ce qui est de l'affectation des lieux de culte). Les juges de Coutances engagent là autre chose que le simple droit des particuliers à être rayés d'un quelconque fichier.

mardi 13 décembre 2011

Péché originel.

"Je suis athée, la chose qui me révulse le plus chez les chrétiens c'est bien la notion de péché originel...Comment culpabiliser, dès la naissance, un enfant ?"

Ce commentaire, reçu à propos de mon dernier billet, me donne envie d'aller plus loin : tant de choses sont dites, écrites, crues, sur cette faute des origines dont nous porterions injustement le poids ; comment en effet, être coupables - et donc punis - dès notre naissance pour un péché qui n'est pas le nôtre ?

La question appelle une réponse très nette : Dieu ne condamne personne pour un mal qui n'a pas été commis. La culpabilité n'est d'ailleurs en rien un héritage de la tradition chrétienne : l'idée que notre existence serait frappée par une dette originelle existe dans bien d'autres traditions religieuses (ainsi, dans l'hindouisme) ; je connais des gens qui n'ont absolument pas été élevés religieusement, et qui sentent sur eux le poids d'une terrible culpabilité, dont rien ne semble pouvoir les libérer. La vérité est que la culpabilité fait partie de l'humanité ; le christianisme est un chemin pour s'en libérer. Cette libération passe par une tentative d'en comprendre les causes, à la lumière du récit biblique.

La doctrine du "péché originel" est la manière, chrétienne mais enracinée dans une tradition antérieure à l'enseignement de Jésus, de rendre compte des contradictions internes à l'humain. Avant de renvoyer à la faute d'Adam et d’Ève, elle est d'abord à mettre en lien avec une constatation : nous voulons faire le bien, et nous n'y arrivons pas parfaitement. Pour prendre un exemple : lorsque nous aimons, nous rêvons d'un amour parfait et sans nuage ; or, cet amour-là n'existe pas. C'est ainsi que les familles, qui sont le lieu par excellence où devrait se vivre l'amour, sont aussi des lieux de violence, de jalousies, de rivalités... Il y a en nous une tension : entre un désir de perfection qui nous habite, et qui est dans notre nature ; et la difficulté que nous avons à mettre en œuvre ce désir. Parler de "péché originel" est la manière chrétienne de rendre compte de cet état : notre nature est foncièrement bonne, mais elle est pervertie par le mal.

Dans la tradition chrétienne, le péché est donc un état de fait, et non une faute dont on se serait rendu coupable ; c'est pourquoi on dit que l'homme est "pécheur". Pas mauvais, mais pécheur. Le péché est une situation de rupture, de conflit, à trois niveaux : un conflit intérieur ; un conflit avec les autres ; un conflit avec Dieu. Cette situation nécessite une réconciliation - réconciliation intérieure, avec mon frère, avec Dieu. Ces trois niveaux sont étroitement liés entre eux, et s'il y a réconciliation, elle ne peut être que globale.

C'est dans ce sens qu'il faut comprendre le second récit biblique de la Création (Genèse 3), qui insiste sur le fait que les difficultés de ce monde viennent du péché, d'une rupture avec Dieu, et donc peuvent être guéries, ou plutôt "réconciliées" par Dieu. Pour les chrétiens, le lieu de cette réconciliation est la mort du Christ, c'est-à-dire le moment où il se donne tout entier à nous, et où Dieu nous donne ce qu'il a de plus cher.

C'est également dans ce contexte que doit se comprendre le dogme de l'Immaculée conception : nul ne peut dire "Oui" à Dieu, sans garder par-devers lui une réticence, un petit reste de "non", à moins d'avoir vécu cette réconciliation. Le "Oui" de Marie n'aurait pu être prononcé, si Marie n'avait pas bénéficié de ce don gratuit.

jeudi 8 décembre 2011

Immaculée Conception.

En ce 8 décembre, les Dijonnais sont pour la seconde fois invités à processionner entre la cathédrale et l'église Notre-Dame. On s'attend à ce qu'il y ait du monde. Marie fait recette auprès des catholiques.

En ce 8 décembre, pour les prêtres, il va falloir se lancer dans un exercice pas facile. Ne pas se contenter de répéter platement les énoncés dogmatiques, mais donner à goûter le mystère, faire comprendre pourquoi on parle ainsi de Marie dans notre Église (et pas dans d'autres traditions chrétiennes), dire en quoi cette fête concerne de si près notre vie d'hommes et de femmes. C'est ce que tentent, par exemple, Aleteia, ou encore ce chapelain de Lourdes sur Youtube.

Difficile exercice, qui passe souvent par le déminage d'un terrain encombré de fantasmes : non, l'Immaculée Conception ne signifie pas que Jésus ait été conçu sans que sa mère ait commis de péché (comprenez : de chair), comme je l'ai si souvent entendu dire. Non, le dogme ne fait pas de Marie une créature au-dessus de toutes les autres, superwoman avant la lettre.

L'Immaculée Conception nous renvoie d'abord à notre propre existence : à nous, disciples du Christ, qui voudrions donner chair à la Parole de Dieu, l'incarner à notre manière ; et qui faisons alors l'amère expérience de notre péché, c'est-à-dire de notre impuissance. A nous tout seuls, nous ne pouvons faire de cette Parole une parole vivante, incarnée. Je voudrais faire le bien, dit Paul, mais sans le Christ, j'en suis incapable à moi tout seul. Sans lui, nous ne pouvons rien faire.

Une femme fait exception : Marie, qui donne, au sens propre, chair à la Parole de Dieu. Cette Parole, elle l'accueille sans que rien ne vienne entraver son "oui", avec une telle vérité qu'elle fait naître en elle la Vie.

D'où vient que Marie ait pu dire "oui" de cette manière ? L'Immaculée Conception est la réponse à cette question : avant même l'arrivée de Jésus, celui qui donne la grâce, Marie a reçu de Dieu la force qui manque à son humanité pour donner vie à la Parole. L'énoncé dogmatique, dans la précision de ses concepts, nous dit : "Elle a été préservée du péché des origines".

Formidable Marie, donc ? Humble servante, plutôt : car ce qui rend possible l'accueil de la Parole, c'est l'humilité et l'obéissance. Loin de faire de Marie une femme différente de nous, son histoire nous dit que Dieu ne peut venir en nous si nous ne lui faisons pas un peu de place. Telle est la leçon pour nous de la fête de l'Immaculée : avec la grâce de Dieu, à condition de nous effacer devant Lui, nous pouvons, nous aussi, donner chair et vie à la Parole.

mardi 6 décembre 2011

Vrai et faux suspense à Kinshasa.

D'après les nouvelles (fragmentaires) qui arrivent de là-bas, le calme règne à Kinshasa qui attend la publication promise des résultats de l'élection présidentielle. Si la mégapole congolaise connaît ce climat inhabituel, la cause en est sans doute un impressionnant déploiement des forces armées ; il succède à des semaines marquées par une grande violence - on ne saura sans doute jamais combien de personnes ont trouvé la mort samedi dernier à l'aéroport de Ndjili.

Petit rappel pour ceux qui n'ont pas suivi l'actualité, il est vrai encore peu relayée par les médias français : la semaine dernière a eu lieu le premier et unique tour de l'élection présidentielle qui opposait essentiellement deux candidats, le président sortant Joseph Kabila, fils de son père, et celui qu'on surnomme là-bas le Sphinx - Etienne Tshisekedi, éternel opposant qui voit à près de quatre-vingts ans l'occasion d'occuper enfin le fauteuil présidentiel. Tshisekedi apparaît auréolé d'un incroyable prestige, du autant à sa longue carrière d'opposant qu'à l'impopularité de son adversaire, incapable de remettre sur les rails l'économie de l'immense pays dévasté par une décennie de guerre. Son retour à Kin, à la veille de l'élection, a provoqué une marée humaine qui a déferlé sur l'aéroport pour l'accueillir en triomphateur. A peine les bureaux fermés, ses partisans ont annoncé sa victoire haut la main et dénoncé les innombrables "irrégularités" (quel joli mot pour parler d'énormes fraudes) d'un scrutin qui a été surveillé bien moins étroitement que l'an dernier par les observateurs étrangers. Peine perdue : on s'attend ici à apprendre la réélection du président sortant. Tshisekedi a prévenu : un tel résultat serait "suicidaire" pour la République.

Tout le monde le comprend : les heures, les jours, les semaines qui suivent vont être durs. Les bruits les plus divers circulent - 30 000 kinois se sont réfugiés à Brazzaville, de l'autre côté du fleuve - Kabila a recruté sur sa fortune personnelle des mercenaires étrangers qui sont déjà sur le territoire national - les Rwandais ont un plan qui se soldera par la partition du pays en leur faveur. Une chose est certaine : le résultat de l'élection est acquis, et comblera d'aise la fameuse "communauté internationale" (en réalité, les voisins du Congo qui pillent le pays pour le compte des Occidentaux). Le suspense n'est donc pas là, mais sur la réaction d'Etienne Tshisekedi et de ses partisans. L'Église catholique, unique institution nationale qui tienne encore debout, a choisi la paix, au risque de l'injustice : ses milliers d'observateurs ont tous dénoncé les fraudes, mais les évêques appellent, malgré tout, au respect du résultat quel qu'il soit.