Nul besoin, pour un
curé, d’attendre la victoire de la gauche aux législatives pour être confronté
aux nouvelles formes de vie conjugale et familiale. Catéchisme, baptêmes,
mariages, obsèques, obligent à fréquenter l’humanité dans toute sa glorieuse et
inquiétante diversité. Ici commence une série de billets qui ont l’ambition de
montrer comment, concrètement, les communautés chrétiennes sont confrontées aux
évolutions des mœurs, avant même que de nouvelles lois viennent en rajouter
encore à la complexité des situations.
Petit retour en arrière : au début de la vie de ce
blog, j’étais curé de la paroisse des Grésilles ; tous les Dijonnais connaissent
ce quartier, les difficultés de ses habitants, ses poussées de violence, les
trafics en tous genres qui lui ont valu longtemps la réputation d’une zone de
non-droit – réputation qui perdure malgré les opérations de renouvellement
urbain.
Dans les grandes barres d’immeubles, on a compté, fut un
temps, jusqu’à 60% de mamans célibataires. On les rencontrait partout, ces très
jeunes femmes, la poussette dans une main et le sac à provisions de l’autre,
pauvrement vêtues et manifestement désœuvrées. Quand par hasard l’une d’entre
elles poussait la porte du presbytère pour faire baptiser le (les) petit(s),
c’était pour évoquer l’océan de difficultés dans lequel elles se
débattaient : économiques, sociales, affectives, morales…
C’était aussi l’époque où la vie privée des élus commençait
à se faire plus voyante. Nous nous y sommes habitués : bien des hommes
politiques tournent le dos au mariage, ou forment des familles recomposées
toujours décrites sous le jour le plus avantageux. Couples modernes à l’Elysée,
compagnes élégantes choisies dans le meilleur monde (si possible médiatique), compagnons
discrets que l’on imagine mal torchant les enfants pendant que maman trime dans
son ministère ou sur les bancs de l’Assemblée, c’est une image heureuse de la
famille nouvelle qui se diffuse par le biais de nos élites. Voir mes petites
mamans, sur le banc du square, plongées dans la lecture de Gala et y découvrir avec intérêt la vie décomplexée de leurs
dirigeants, me plongeait alors dans des abîmes de perplexité. Car leur
quotidien à elles n’avait rien à voir avec celui de ces couples. Chez les
riches et les puissants, ce n’est pas bien grave de divorcer, de vivre en
concubinage, de changer de temps en temps de partenaire sexuel. Chez les
pauvres, c’est ajouter l’instabilité affective à la précarité économique. Que
les parents de Thomas Hollande ou de Martin Chirac ne se soient jamais mariés
ne leur portera jamais préjudice ; il n’en va pas de même de ces petits
baptisés élevés par des pères de passage, dans des fratries à géométrie
variable où ils peinent manifestement à trouver les repères indispensables à la
construction de leur personnalité. Il m’est souvent revenu alors cette phrase
entendue au Conseil de l’Europe, lors d’une rencontre avec un fonctionnaire
chargé des questions de politique familiale : il n’est pas question, en
Europe, d’imposer un quelconque modèle de vie de famille. Mensonge : c’est
bien un modèle que donnent nos élus, sans doute à leur corps défendant mais le
fait est là.
En changeant de paroisse, je m’attendais à trouver un autre
paysage, plus paisible, plus bourgeois pour tout dire. Grossière erreur :
les classes moyennes ne me paraissent pas plus épargnées que les autres par les
ravages produits par la modernité dans la vie familiale. A l’école
Saint-Pierre, les bons élèves sont invariablement ceux dont les parents forment
une union stable et qui ont su leur donner de quoi construire leur vie d’adulte
de demain. Tous les professeurs savent que, derrière l’enfant agité, se cache
souvent une famille compliquée.
(A suivre)